La source de la souffrance n’est pas l’évènement mais le jugement porté sur lui
Le jugement est un rajout catégoriel attributif arbitraire créant la souffrance psychologique
· Selon les stoïciens, la représentation, non plus première mais subjective, selon laquelle un évènement est source de souffrance psychologique, contient : (i) une description « objective » des aspects « factuels » de l’évènement, à laquelle est « rajouté » (ii) un jugement de valeur qui n’existe intrinsèquement pas dans la « réalité ontologique » de l’évènement et qui le catégorise comme « mal » ne pouvant mécaniquement qu’être source de souffrance psychologique.
· Epictète nous explique ainsi que « la mort n’a rien de redoutable, mais le jugement que nous portons sur elle, à savoir qu’elle est redoutable, c’est cela qui est redoutable » (Manuel, 5).
· Marc-Aurèle complète : « ne te dis rien de plus à toi-même que ce que te disent les représentations premières. On t’a dit : ‘’Un tel a dit du mal de toi’’. Cela, elles te le font savoir. Mais : ‘’On t’a fait du tort’’, elles ne te le font pas savoir » (Pensées, VIII, 49).
Réattribution causale : les évènements n’ont en fait pas le pouvoir de nous faire souffrir
· Les pseudo propriétés de « bien » et de « mal » n’ont aucune préexistence intrinsèque dans les évènements. En effet, Marc-Aurèle note que « les choses sont en dehors de nous. Elles ne savent rien d’elles-mêmes et elles n’affirment rien d’elles-mêmes » (Pensées, IX, 15). Hadot (p.182) précise que pour les stoïciens « les choses ne s’occupent pas de nous, elles ne cherchent pas à nous influencer, à pénétrer en nous, à nous troubler […] Prises en elles-mêmes, les choses ne sont ni bonnes ni mauvaises et ne devraient pas nous troubler. Le cours des choses se déroule d’une manière nécessaire, sans choix, sans hésitation, sans passion ».
· Le jugement est dès lors une construction psychologique active « volontaire » et non une résultante cognitive mécanique et automatique des évènements en eux-mêmes. Marc-Aurèle commente : « les choses ne peuvent produire nos jugements » (Pensées, VI, 52), « les choses ne touchent pas l’âme » (IV, 3, 10), « les choses n’ont aucun accès à l’âme » (V, 19), « les choses se tiennent immobiles, [elles] ne viennent pas à nous, [mais c’est] nous qui allons à elles » (XI, 11).
· Il en résulte que l’individu est l’acteur principal de sa souffrance psychologique : « si c’est à cause d’une des choses extérieures que tu t’affliges, ce n’est pas elle qui te trouble, mais c’est ton jugement au sujet de cette chose » (Pensées, VIII, 47).
Supprimer le jugement
· Supprimer le jugement (constitutif de l’attribution causale de souffrance intrinsèque) supprime ipso facto la souffrance psychologique.
· Épictète et Marc-Aurèle exemplifient : « ne dis pas que les choses sont indispensables et elles ne le seront pas » (Entretiens, IV, 1, 110), « supprime le jugement de valeur [que tu ajoutes sur les choses] et voilà supprimé : ‘’On m’a fait du tort’’. Supprime ’’On m’a fait du tort’’ et voilà le tort supprimé » (Pensées, IV, 7).
· Face à une situation potentiellement problématique donnée, Épictète explicite le process psychologique de prévention de la souffrance psychologique : « tout de suite, face à toute représentation [subjective]t’apparaissant pénible, exerce-toi à dire à son sujet : ‘’tu n’es qu’une représentation [subjective], et pas du tout ce qui se présente réellement à moi [dans la seule partie objective de la représentation]’’ » (Manuel, I, 5).
Michael PICHAT
Docteur & maître de conférences des universités,
fondateur du Cabinet Chrysippe (chrysippe.org)
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