Technique de génération de représentations « objectives » :
la formulation mentale « descriptive factuelle »
Le stoïcisme segmente ainsi le décours du processus cognitif de traitement de l’information issue du « monde extérieur » :
Étape 0 : un « fait » se produit dans le « monde » : une tierce personne me dit : « Un tel a dit du mal de toi ».
Étape 1 : formation d’une représentation première, « factuelle » (rien n’est encore rajouté à elle) : image mentale perceptive me donnant à voir la tierce personne me formulant la phrase « Un tel a dit du mal de toi ».
Étape 2 : génération d’un discours intérieur « descriptif » qui, face à la question « quels sont les faits qui se présentent à moi ? » (étape 2.1), se répond en s’en tenant aux seuls faits bruts premiers « un tel a dit du mal de moi », ou encore mieux, « il me dit qu’un tel a dit du mal de moi » (étape 2.2).
Étape 3 : poursuite du discours intérieur emmetant, maintenant, un jugement de valeur, arbitraire et rajouté, sur le contenu factuel impliqué : « on m’a fait du tort ».
Le sage stoïcien, au contraire de l’insensé, s’arrête à l’étape 2, comprenant qu’il n’y a de vrai mal que de mal interprétatif ; ou, tout du moins, il ne formule pas durant l’étape 3 un jugement de valeur de type « ceci est un mal qui ne peut donc que me faire souffrir » (ou son corolaire dolorifère en devenir « ceci est un bien ») mais un jugement de type « ceci est indifférent » (αδιαφορον, adiaphoron) (i.e. quant à ma souffrance ou ma paix psychologiques).
Épictète (Entretiens, III, 8) nous présente un exemple clair du processus : « son navire a péri [étape 1]. Qu’est-il arrivé ? [étape 2.1] Son navire a péri [étape 2.2]. Il a été conduit en prison [étape 1]. Qu’est-il arrivé ? [étape 2.1] Il a été conduit en prison [étape 2.2]. Mais la proposition ‘’Il lui est arrivé malheur’’ [étape 3], c’est de son propre fond qu’on la tire’’ ».
Cette technique consiste donc à explicitement (faire) formuler les principaux seuls faits impliqués et se tenir uniquement à cela. Ainsi que nous le précise Marc-Aurèle : « il dépend de toi […] d’appliquer à la représentation présente les règles de discernement, afin que rien de s’infiltre qui ne soit objectif » (Pensées, VII, 54) ; « à l’occasion de chaque représentation, ne conserver d’elle que ce correspond exactement à la réalité » (IV, 22) ; « à quoi faut-il donc s’exercer ? […] : un discours [intérieur sur les choses] qui ne peut jamais tromper » (IV, 33, 3).
Cette démarche doit être constamment et immédiatement répétée face à chaque évènement ou idée pénible, et est ainsi l’objet d’une prescription rigoureuse nécessitant une observance devant l’être tout autant. Elle peut être pratiquée seul en exercice prescrit, ou, en séance d’apprentissage formel, avec un tiers jouant le rôle du poseur de la question de l’étape 2.1. Tout l’enjeu de cette technique est l’inhibition cognitive du dolorifère passage à l’étape 3 ; inhibition pouvant être facilitée par le jeu du « ni oui ni non du jugement » : A doit décrire uniquement factuellement et sans aucun jugement de valeur une situation qui lui a été difficile à B, B doit pointer, le cas échéant, un jugement de valeur émis, signifiant alors la perte du jeu.
Michael Pichat
Docteur & maître de conférences des universités,
fondateur du Cabinet Chrysippe (chrysippe.org)
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