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La première source de la paix psychologique

Dernière mise à jour : 8 nov. 2022



La première source de la paix psychologique :

Accepter de lâcher-prise vis-à-vis de ce qui ne dépend pas de nous


Le point de départ de l’enseignement d’Épictète consiste à prendre acte, enfin, de ce qui ne dépend pas de nous (τα ουκ εφ ημιν, ta ouk eph hêmin) (à comprendre au sens de tout ce qui n’est pas en notre contrôle total et permanent) et de renoncer à le maîtriser :


· La sphère du corporel (σομα, soma) : notre âge, notre apparence physique, notre santé, nos performances physiques, nos réactions émotionnelles immédiates (προπαθεια, propathéia) face aux événements « impressionnants ».


· Le domaine des possessions (κτησις, ktêsis) : nos ressources financières, avoir un emploi, tous nos biens matériels et, par extension, immatériels (mon conjoint, mes enfants, mes amis, mes titres).


· Ce que les autres pensent de nous (δοξαι, doxaï) : leur approbation, estime, évaluation, respect, admiration, amitié, bienveillance, amour, valorisation tout comme notre réputation ou « aura » social.


· Le champ du pouvoir (αρχαι, archaï) : notre niveau de poste ou de responsabilité, notre autorité sociale, le fait que les autres obtempèrent à nos demandes.


· Et, plus largement, les évènements de la vie quotidienne, les situations non souhaitées « difficiles », les résultats de nos actions, la réalisation effective de nos objectifs.


De façon vaine, nous nous faisons quotidiennement du mal (angoisse, tristesse, frustration, colère) en voulant contrôler ces choses qui ne dépendent pas (entièrement) de nous et qui donc sont un jour en phase avec nos désirs à leur endroit et le lendemain non. Nous n’avons qu’un pouvoir relatif sur ces choses extérieures qui dépendent des circonstances du moment et du bon vouloir actuel des autres. Elles ne relèvent en effet pas fondamentalement de notre champ d’action (εργα, erga) et ne sont qu’un prêt momentané qui sera rendu ainsi que nous le rappelle Épictète, elles ne sont qu’illusoirement possédées ou maitrisées.


Il s’agit donc de lâcher-prise vis-à-vis de ces diverses choses qui ne dépendent pas de nous. Mais ce lâcher-prise n’est pas synonyme de désinvestissement de l’action ; au contraire, il nous appartient de « jouer notre rôle » et d’agir de notre mieux pour aller dans le sens de nos objectifs, tâches, affectations socio-professionnelles et aspirations. Il ne s’agit pas plus de désintérêt : lorsque ces choses non contrôlables sont conformes à nos attentes du moment, profitons-en et tirons-en plaisir ! Mais faisons-en bon usage durant le temps, provisoire, durant lequel elles nous sont allouées. C’est-à-dire, n’en devenons pas esclave, dépendant, n’en faisons pas une passion au sens premier de ce terme (ce qui est subit). Autrement dit, n’indexons pas notre bien-être ou notre mal-être sur ces choses extérieures qui sont des indifférents (αδιαφορον, adiaphoron) à notre bonheur ou à notre malheur.


Ce qui ne dépend pas de nous, selon sa polarité du moment, nous apportera plaisir ou douleur (dans un registre que l’on qualifiera de niveau 1), même chez le Sage qui demeure avant tout un être humain, mais pas bonheur (ευδαιμονια, eudaïmonia) ou souffrance de fond (dans un registre de niveau 2). C’est en effet une illusion de l’esprit, une croyance (δογμα, dogma) erronée que de croire que les choses extérieures, et le plaisir ou la douleur de niveau 1 (niveau de notre contingence humaine) qu’elles nous procurent, ont le pouvoir de notre rendre heureux et malheureux à un niveau 2, celui de la sagesse. La paix intérieure, le bonheur comme la souffrance n’ont pour seule origine une origine intérieure : notre liberté de choisir (προαιρεσις, prohaïrésis) dont Épictète n’a de cesse de nous rappeler l’existence inaliénable. Liberté de ne pas indexer notre bien-être (à un niveau 2) ni sur le fait que les choses extérieures soient temporairement conformes ou pas à nos désirs ni sur celui des conséquences (cognitives et émotionnelles), positives ou négatives, que cela génère en nous. Liberté de choix de réaction, de type de rapport que nous décidons d’instaurer avec les choses qui ne dépendent pas de nous. A ce titre, l’étymologie latine du terme douleur (doleo) distingue à un niveau 1 la douleur (somatique et par extension psychique) et, à un niveau 2, le fait de s’affliger de quelque chose (versus se mettre en paix avec cette chose) ; i.e. souffrir de ou se mettre en paix avec ce que nous ressentons à un niveau un. D’où la célèbre expression « non dolet » (cela ne me met pas en souffrance) prononcée à son mari le sénateur Paetus par son épouse Arria lorsqu’elle se poignarde devant lui, le couple devant se donner la mort étant condamné suite à une rébellion contre l’empereur Claude.


Le Sage sera donc « sans attentes » quant aux résultats des actions qu’il réalisera dans le sens de ses aspirations associées aux choses qui ne dépendent pas de lui ; comprenant que si ses actions dépendent de lui et sont même de l’ordre de son devoir, il n’en n’est au fond en rien le cas concernant le résultat de ces actions. Le stoïcien sera, à ce titre, toujours en phase avec l’ordre des choses (κατα φυσιν, kata fusin), réellement affecté (niveau 1) mais non perturbé sur le fond (niveau 2) par ce qui arrive. Car il a compris et digéré le fait que les choses extérieures ont une valeur neutre : elles ne sont intrinsèquement, per se, ni des biens ni des maux, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas le pouvoir de produire des effets négatifs ou positifs dans le registre du bien/mal-être (niveau 2). En revanche leur usage mental (χρεσις, chrésis), qui dépend de nous, en fera un bien (αγαθος, agathos) ou un mal (κακος, kakos) (de niveau 2), source de paix ou de souffrance psychique.


Michael PICHAT

Docteur & maître de conférences des universités,

fondateur du Cabinet Chrysippe (chrysippe.org)

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